Interview de la Ressourcerie Créative de Lyon

RSE
29 avril 2024

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur vous et nous présenter la Ressourcerie Créative ?

Je m'appelle Elodie Gueguen-Teil, je suis la fondatrice de la Ressourcerie Créative de Lyon. J'ai beaucoup habité dans les pays anglo-saxons et à l'étranger. J’ai passé mon bac en Inde, j’ai travaillé au Maroc et je reviens d’Australie.

En Angleterre où j’ai fait toutes mes études universitaires, il y a plein de boutiques de seconde main qui sont en plein centre-ville et elles sont magnifiques. Tout le monde y va. Ce n’est pas quelque chose qui est réservé pour une certaine partie de la population (les personnes les plus démunies, pour les étudiants etc). Mais c'est vraiment pour tout le monde et en fait, quand je suis arrivée en France en 2018, je ne savais pas où faire mes courses, je ne trouvais pas une boutique comme ça, je comprenais pas ce qui se passait. A Lyon, j'ai découvert les bric-à-brac, comme celle de Notre-Dame des Sans-Abri qui est l'équivalent d’Emmaüs ici. Et ça pareil, personne n'en parle et n’est au courant. Il y a des personnes qui m'ont dit de ne pas y aller. C'est réservé pour les personnes qui ont peu de moyens. Ce qui est totalement faux. En fait, ils ont absolument besoin de nos ressources financières pour aider les sans-abris. C'est leur objectif principal. Donc il y avait plein d'idées préconçues comme ça à déjouer. Et du coup, c’est un peu de là qu'est née l'idée de la Ressourcerie Créative.

Donc on a deux objectifs principaux à la Ressourcerie. Le premier, c'est l'inclusion sociale de personnes isolées.

Je me suis cassé le pied, j’ai fait un burn-out au travail. J’ai fait une fracture de fatigue. Ça fait trois ans que mon pied ne se répare pas. En fait, je me suis rendu compte à quel point c'était dur. Vraiment, au début, je n'avais pas idée. Quand on ne connaît pas une personne qui a un handicap, on ne se rend absolument pas compte. Mais du jour au lendemain, prendre le métro, sortir de chez moi, aller faire les courses était compliqué. C'est là que l'inclusion sociale des personnes isolées est devenue vraiment importante dans ce projet.

On vit cela à travers le bénévolat, tout le monde peut être bénévole, isolé ou pas.

L’isolement cela a plein de forme différente suivante : on peut être en transition professionnelle, on peut être au chômage ou même juste en télétravail toute la journée. Ça peut paraître minime, mais c'est hyper important. Nous, ce ne sont que des équipes de bénévoles qui portent le projet de la Ressourcerie, qui font vraiment tout. Et c'est comme ça qu'on se soutient et qu'on donne envie aux personnes isolées de venir à la ressourcerie, de sortir du lit, d'avoir un projet à porter. Donc ça, c'est notre objectif numéro un.

Notre objectif numéro deux, c'est la réduction des déchets sur le territoire, on veut faire ça en déjouant les préjugés de la seconde main.

Comme je disais, il y a énormément de personnes qui ne vont pas chez Emmaüs qui trouvent que c'est sale ou qui ont des préjugés, qui pensent que c'est réservé à des personnes qui n’ont que très peu de moyens. Donc, on veut déjouer ces préjugés, montrer que la seconde main, c'est chouette, qu'on y trouve plein de trucs, que c'est abordable.

A côté de ça, on veut changer les moyens et méthodes de consommation. Et on veut aussi rendre plus accessible les objets dont on ne veut plus aujourd'hui. Si vous allez chez Emmaüs, vous ne trouverez pas quelque chose d’abimé ou de cassé. Savez-vous estimer à peu près combien de vêtements reçoit par jour Notre-Dame des Sans-Abri (notre Emmaüs de local) ? 12 tonnes par jour et uniquement des vêtements. On voit qu'il y a un gros problème en temps et qu'il faut vraiment agir, faire quelque chose pour ça. C'est vraiment pour ça que l'on veut changer notre manière de consommer et déjouer les préjugés.

Et du coup, vu qu'ils reçoivent douze tonnes par jour de vêtements, ils ne vont pas mettre des vêtements abîmés en boutique. Donc les personnes qui veulent faire de la couture, veulent upcycler ne peuvent pas le faire. Mais c'est dommage d'utiliser une chemise pratiquement neuve d'Emmaüs pour faire de l'upcycling (créer du neuf avec du vieux, sans pour autant transformer ou déconstruire la matière première que l’on utilise.) alors qu'on jette des tonnes de vêtements abîmés car il manque un petit bouton. Et nous, on a beaucoup de personnes qui aime la couture, et qui viennent ici pour faire des déguisements par exemple.

Il faut que la boutique soit attrayante pour toucher un public qui va passer devant et qui va rentrer ici plutôt que d’aller chez Emmaüs. Il y a pas mal de personnes qui nous disent : « c'est cool comme boutique ».

On a un label Engagé à Lyon, c'est un label de la ville de Lyon qui existe depuis 2014.

 

Quels ateliers mettez vous en place au sein de la Ressourcerie Créative ?

Des ateliers de création, de réparation, toujours à partir de matériaux de récupération.

Et l'idée, c'est d'utiliser donc des matériaux de récupération et de transférer les connaissances de manière intergénérationnelle, interculturelle, notamment pour la réparation. Aujourd'hui, qui sait recoudre un bouton, faire un ourlet... Donc, c'est un petit peu l'objectif de réapprendre tout ça.

Ce n’est pas que de la couture, on a aussi des bijoux. C'est énormément de couture, mais moi, je travaille beaucoup le papier aussi. On a des ateliers de réparation de bijoux. Et ça, c'est aussi des bénévoles qui organisent les ateliers, et parfois, on a des intervenants extérieurs qui participent qui font de la broderie sur des objets ou tissus abîmés, pour cacher une tâche par exemple.
Il y en a très peu qui ont des ateliers ouverts au public, comme nous. Et c'est de là que vient le mot « Créative ».

Depuis quand proposez vous des ateliers ?

On a commencé les ateliers en octobre 2022, donc cela fait un an. Les ateliers, c'est très variable, des fois c'est complet, et d’autres fois il n’y a qu’une personne. On a ouvert les ateliers aux bénévoles, donc cela nous permet de transmettre les connaissances et de leur donner aussi plus envie de participer.

C'est une cotisation à l'année : l'adhésion est de 2€, et 10€ par atelier d’une durée de 2h environ, gratuit pour les bénévoles.

La location d’objets :

Nous proposons aussi un service de location d'objets d'utilisation occasionnelle : la vaisselle pour trente personnes, un appareil à raclette… vous pouvez emprunter tout cela en boutique. Donc, si vous avez besoin d'une robe pour aller à un mariage, de chaussures, d’un sac à main ou une soirée Monopoly… c’est possible de l'emprunter, et c'est vraiment l'idée de modifier les tendances de consommation pour arrêter d'acheter des choses et éviter de s’encombrer avec des objets que l’on va utiliser que quelques fois dans sa vie.

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur le nombre de bénévoles présents ?

Quotidiennement c'est difficile à savoir, on est une centaine de bénévoles sur le groupe WhatsApp, mais il n’y a pas cent bénévoles qui viennent chaque jour.

Je pense qu'on doit être trente. Trente ou quarante, ça dépend aussi de la saisonnalité. À la rentrée, il y a toujours beaucoup plus de bénévoles, et après un peu moins, mais parce que tout le monde part en vacances. On recherche des bénévoles et aussi du mécénat de compétences pour faire des choses comme la communication, la comptabilité ou juste du tri.

On reçoit beaucoup de dons, ce n’est donc pas un besoin. On a dû fermer en août l'accueil des dons car on recevait 100 kilos par jour. Notre Ressourcerie est petite, on ne peut pas accueillir douze tonnes par jour de vêtements.

L’origine, historique.

On a ouvert pour la première fois, en juin 2022 dans un local neuf de 300m². Là on a fêté nos un an. On a dû tout faire : plomberie, électricité... On a effectué un gros travail de recherche de fonds pour des aides financières, et on a appelé à un financement participatif.

Tout est de la récup’ ! Les bénévoles ont fait toute la peinture aussi, les portes, c'est de la récup, tous les luminaires. C'était vraiment un gros travail.

Comment attirer les bénévoles ?

Grâce à des réunions d'accueil. Je fais ça toutes les semaines, d’abord une fois par semaine pour les personnes qui cherchent du bénévolat à la rentrée, mais après, c'est une fois par mois. C'est une réunion où je présente vraiment toute la ressourcerie, puis après, je leur présente aussi les rôles des bénévoles. Que font les bénévoles, c'est-à-dire tout. On ne fait pas que le tri et la caisse. Mais tout ce qu'il y a derrière, donc la recherche de financement, la comptabilité, toute la communication. On participe à beaucoup d'événements pour montrer ce qu’est la Ressourcerie. C'est un énorme travail.

En fait, on est organisé en sociocratie (c'est un modèle de gestion et de gouvernance par cercles interreliés dans lesquels les mécanismes mis en œuvre sont fondés sur la croyance que des individus libres et responsables feront des choix et agiront pour le bien du collectif. L’organisation se comporte alors comme un système vivant) donc c'est horizontal. C'est plein de groupes de travail différents sur des thématiques différentes et du coup, si un bénévole a envie de travailler sur les ateliers, il peut rejoindre la commission ateliers et du coup, aider. Si un bénévole le veut, il peut vraiment se plonger dans le fonctionnement de la ressourcerie. La plupart des bénévoles viennent juste ici pour faire du social. Mais il y en a pas mal aussi qui viennent pour faire de la communication. Beaucoup sont en transition dans leur vie, au chômage aussi et ne veulent pas perdre le rythme du travail, continuent leur activité et souhaitent acquérir de nouvelles expériences, etc.

 

Quel est le profil de ceux qui viennent acheter à la Ressourcerie ?

C'est vraiment très, très large. Dans ce quartier il y a cinq ans, c'était un terrain vague. Le quartier est tout neuf, avec plein de familles, de jeunes familles, des jeunes parents et il y a aussi des HLM, un habitat temporaire Habitat Humanisme juste à côté. Donc, on a aussi beaucoup de personnes dans le besoin qui viennent, mais pas que. Tout le monde, y compris des gens qui viennent de Paris (et de villes différentes) se rendent à la Ressourcerie.

Il y a une grosse prise de conscience au niveau des ressourceries aussi en France, actuellement, on fait partie du Réseau National des Ressourceries. On essaye aussi de sensibiliser à ça, au sein des ressourceries, pour parler plus de sensibilisation, et toucher un public qui n’y va pas déjà. Il y a 360 ressourceries en France qui font partie du réseau officiel.

Pour information, la différence entre recycleries et ressourceries, c'est juste que ressourcerie est un terme déposé, il y a une charte avec notamment de la sensibilisation et, par exemple Emmaüs, ils font tout sauf de la sensibilisation à la réduction des déchets. Donc ils ne sont pas une ressourcerie.
Une ressourcerie c’est aussi une recyclerie qui accepte que certains types de dons. Par exemple, la recyclerie sportive ce n’est pas du tout venant, mais nous on accepte de tout.

On essaye également de faire des ateliers de co-réparation.

Juste à côté de nous, est situé l'Atelier Soudé. Ils font que des réparations électriques et électroniques. Ils sont débordés, complètement plein à ras bord, parce qu'en fait cela n’existe pas vraiment, les repair-café ( atelier consacré à la réparation d'objets et organisé à un niveau local), ou il y en a très peu. On essaye donc d’ organiser un atelier avec l'Atelier Soudé qui va venir dans nos locaux pour un atelier réparation.

Quels projets à venir ?

Là notre gros projet c’est le changement de notre site internet. On cherche des personnes qui connaissent le SEO et l'immigration de site internet...

Faîtes-vous également des dons ?

On fait également des dons, on aide aussi lors de maraudes (tournée de rue qui consiste à aller rencontrer les personnes sans domicile fixe (SDF) et sans-abri qui ont besoin d'aide). Récemment, une structure nous a contacté pour des fournitures scolaires pour des étudiants dans le besoin.

Nous remercions de tout cœur Elodie Gueguen-Teil d'avoir pris le temps de répondre à nos questions et de nous avoir fait découvrir la Ressourcerie Créative de Lyon.

Une interview réalisée par Léa Ghellamallah, Julie Browne et Cindy Iannico. 

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